lundi 11 octobre 2010
Un saut à Berlin!
De Prague. Pour voir Dominique qui passe ce semestre-ci à Berlin, avec son ami Théo, sur le campus de la NYU ou elle complète sa maîtrise. Moins de 24 heures; un aller-retour par train entre Prague et Berlin; 5 heures de chaque coté. Impossible par ailleurs de trouver une place sur un vol qui m’aurait ramené à Toronto en partance de Berlin, et m’éviter le retour à Prague – il est vrai qu’il s’agissait d’une décision de dernière minute, ayant tous espérés jusqu’à la fin de mon séjour à Prague qu’ils auraient pu venir me rejoindre là...
Des moments agréables passés ensemble, même si rapides, à dîner chez Monsieur Vuong – un restaurant vietnamien très achalandé dans une rue typique de ce qu'est devenu Berlin-Est, et qu’un ami m’avait fait découvrir il y a déjà quelques années – et à prendre le petit déjeuner dans un café très « nouvelle génération », le Frida Kahlo, dans un joli quartier près du campus universitaire.
Je crois que c’est ma 5e visite à Berlin en autant d’années, des visites habituellement assez courtes, mais qui me rappellent toujours pourquoi j’aime cette ville qui a su assumer les violentes secousses de l’histoire qui l’ont marquée, la dernière étant la réunification du pays après la chute du communisme en Europe de l’Est à la fin des années 80. L’Allemagne célébrait d’ailleurs le 20e anniversaire de cet événement la fin de semaine dernière (le 3 octobre), et j’ai profité de ce court passage pour aller visiter l’exposition montée au Musée National de l’Histoire pour marquer l’occasion.
On oublie à quel point ces mois de 1989 et 90, entre la chute du Mur en novembre et la proclamation de la réunification en octobre, ont été chargés d’événements très lourds de conséquence, qui ont changé le cours de l’histoire. Une analyse très révélatrice par ailleurs parue dans le Financial Post de Londres ces jours derniers... http://www.ft.com/cms/s/0/2dd09462-ccc1-11df-a1eb-00144feab49a.html
Rien n’était évident à l’époque, mais tout peut-être était inévitable. Malgré l’effondrement total de l’économie de l’Allemagne de l’Est, on s’accrochait quand même à l’idée de créer une « troisième voie » en une RDA indépendante, entre le système «failli» du socialisme à la soviétique et le consumérisme du capitalisme de la RFA. Mais il était peut-être trop tard, et sans doute illusoire, de penser que cela pouvait se réaliser. C’était aussi compter sans la volonté populaire, de part et d’autre du Mur, et sur laquelle les hommes politiques de l’Ouest, tant en RFA qu’à Washington, Londres ou Paris, ont su capitaliser pour "frapper le fer pendant qu’il était chaud" et conclure la réunification en moins d’un an; c'est rapide et on s'en surprend encore de nos jours vu l’énormité des intérêts en jeu...
Marche vivifiante dans les rues de Berlin, du musée à la gare principale, sous un soleil timide, mais quand même là, d’une journée claire d’automne, comme l’’Europe du Nord en connaît parfois…
Berlin, le 9 octobre 2010
P.S. Ai manqué de peu l'ouverture d'une exposition qui promet: Hitler et les Allemands.
voici ce qu'en dit Le Monde dans un article récent:
Hitler, une obsession allemande
Article paru dans l'édition du 15.10.10
C'est une première en Allemagne : une exposition se consacre, prudemment, au Führer. Et interroge une nouvelle fois le pays sur son rapport au nazisme
aut-il y voir la fin d'un tabou ? C'est en tout cas une première. A partir du vendredi 15 octobre (et jusqu'au 6 février 2011), le Musée historique allemand voulu par Helmut Kohl avant même la réunification, et situé sur la célèbre avenue berlinoise Unter den Linden, consacre une grande exposition à Adolf Hitler. Plus précisément aux relations entre « Hitler et les Allemands ».
En dehors d'une exposition organisée à Munich en 1994 sur les liens entre le Führer et Heinrich Hoffmann, son photographe personnel, aucun musée allemand n'avait jusqu'à présent osé franchir le pas. Sans doute faut-il y voir un gage supplémentaire de normalité. Soixante-cinq ans après la fin de la guerre qui l'a mise au ban des nations et a provoqué sa division jusqu'en 1989, l'Allemagne se sent enfin suffisamment mûre pour faire entrer Hitler au musée.
En grande partie fondée, cette thèse n'est pas totalement satisfaisante. Sinon, comment expliquer que, contrairement aux habitudes, aucun membre du gouvernement ne devait inaugurer l'exposition ? Comment expliquer également qu'il ait fallu six ans pour qu'elle voie le jour ? C'est en effet en 2004, au moment où sortait La Chute, ce film sur les derniers jours d'un Adolf Hitler interprété par Bruno Ganz, que l'idée s'est imposée.
Comment expliquer, enfin, le profil bas adopté par les deux commissaires, Simone Herpel et Hans-Ulrich Thamer, un historien réputé ? Manifestement, ces spécialistes n'ont qu'une crainte : être accusés de complaisance ou de racolage. Par peur que le public puisse - à son tour - être fasciné par le dictateur, les deux responsables ont écarté tout ce qui concerne sa personnalité.
Aucun objet auquel le Führer était attaché, aucun de ses effets personnels n'est exposé. Ils l'ont même rendu muet. Alors que le vagabond de Munich est devenu dictateur en moins d'une décennie en grande partie grâce à sa voix, les visiteurs le voient haranguer la foule mais ne l'entendent pas. De même passent-ils à côté de la mégalomanie d'Albert Speer. Aucun étendard nazi démesuré, aucun portrait géant du Führer ne viennent vous glacer le sang. Seuls les films de propagande de Leni Riefenstahl sont projetés, à quelques reprises, le soir, une fois les visiteurs partis.
Non seulement Simone Herpel et Hans-Ulrich Thamer assument ce parti pris, mais ils lui consacrent la huitième et dernière partie de l'exposition, intitulée « Hitler, pas de fin ». Si le dictateur entre au musée, il continue, expliquent-ils, de hanter chaque Allemand et d'exercer une « fascination perverse » sur les générations suivantes.
Signe de cette obsession : l'influent hebdomadaire Der Spiegel lui a consacré pas moins de 45 couvertures. Encore aujourd'hui, pas une semaine ne se passe sans qu'une émission de télévision ne lui soit consacrée.
Comme pour dramatiser l'enjeu, la fondation Friedrich-Ebert, proche du Parti social-démocrate, a publié, mercredi 13 octobre, une importante étude sur l'extrême droite en Allemagne. Lorsqu'on leur dit « nous devrions avoir un Führer qui dirige l'Allemagne d'une main ferme pour le bien de tous », 51,9 % des personnes interrogées sont tout à fait en désaccord, 18,9 % plutôt pas d'accord, 9,5 % plutôt d'accord et 3,7 % tout à fait d'accord. 15,9 % n'ont pas d'opinion.
Par ailleurs, 51 % des sondés contestent totalement que « sans l'anéantissement des juifs, Hitler apparaîtrait aujourd'hui comme un grand homme d'Etat ». 20,5 % sont plutôt en désaccord, 8,4 % plutôt en accord, 2,3 % tout à fait d'accord et 17,8 % n'ont pas d'avis. Et avec l'affirmation « le national-socialisme avait aussi ses bons côtés », 45,7 % sont en total désaccord, 21,5 % plutôt en désaccord, 7,1 % plutôt d'accord, 3,2 % tout à fait d'accord et 22,5 % sont sans opinion.
Sur les dix-huit propositions testées au cours de cette enquête publiée tous les deux ans, deux reçoivent à peu près autant de réponses positives que négatives : « les étrangers ne viennent que pour bénéficier de notre système social » et « la République est menacée par les trop nombreux étrangers ».
Si l'extrême droite n'est évidemment pas une spécificité allemande et si ce pays est aujourd'hui sans doute plus démocratique que la plupart de ses voisins européens, Auschwitz reste Auschwitz, et c'est en cela que l'exposition berlinoise est à la fois courageuse et passionnante.
Courageuse car les commissaires affirment à de multiples reprises une thèse qui, il y a quelques années encore, faisait débat : les Allemands sont responsables du nazisme. Dans la partie de l'exposition consacrée à l'Allemagne en guerre, ils expliquent « qu'une partie de la population acceptait les mesures draconiennes. Ils espéraient une «solution finale à la question juive». Le meurtre des juifs ne pouvait être ignoré des Allemands, mais il était approuvé tacitement avec un mélange d'approbation partielle, d'indifférence morale et une crainte croissante de mesures terroristes ». Les juifs ne sont pas les seules victimes désignées : « De nombreux Allemands étaient favorables à l'exclusion des minorités indésirables vivant en Allemagne. »
D'ailleurs, jusqu'au bout, Hitler est resté populaire. Même quand la guerre était perdue. Ces dernières années, les Allemands ont tellement eu tendance à rendre hommage aux victimes du nazisme que certains intellectuels estimaient que le pays en venait, paradoxalement, à évacuer sa responsabilité. Cette exposition devrait mettre un terme à cette polémique.
Passionnante parce qu'exigeante. Inutile d'essayer de jeter un oeil distrait sur les 600 documents et 400 photos présentés. L'exposition exige une attention soutenue. Refusant tout sensationnalisme, elle met en valeur les multiples objets quotidiens à l'effigie d'Hitler qui, loin de constituer des « produits dérivés » du fascisme, étaient l'une des marques de fabrique du totalitarisme. L'évolution de la société allemande sous le nazisme est un des points forts de cette exposition. Au point que le titre « Les Allemands et Hitler » aurait sans doute été plus juste.
Frédéric Lemaître