Corrida! Olé!
Matadors, 6; Toros, 0!
Tout consiste bien en la mise à mort du toro. Les chances sont parfaitement inégales en partant. Il ne s’agit pas de savoir qui des deux – du matador ou du toro – va gagner, mais comment, avec quelle dextérité, savoir-faire, élégance, efficacité, le matador va s’exécuter. De son entrée à sa sortie de l’arène, le toro n’a au plus que 15 à 20 minutes pour servir de prétexte à l’illustration du matador, de sa bravoure et de son courage.
Nous sommes choyés en quelque sorte. Il s’agit de la dernière représentation de la saison à Séville. La Maestranza, Plaza des Toros de Sevilla est pleine à son comble – je dirais au moins 20,000 personnes. Les gradins tout au tour de l’arène sont tassés; un muret de briques d’à peine 15 centimètres de large, et sur lequel on s’assoit, sépare une rangée d’une autre, avec autant d’espace à vos pieds. On fait bon commerce de petits coussins que l’on vend à l’entrée pour s’assurer d’un confort minimum. Nous sommes collés les uns sur les autres. Fort heureusement nous sommes du côté de l’ombre (« sombre ») plutôt que du soleil (« sol »).
3 toreros et leur équipe respective de bandérilléros et de picadors, sont en vedette; ils mettront à mort 2 toros respectivement. Le tout va durer pas plus de 2 heures. La procédure est stricte et rapide dans son déroulement. 3 séquences (« tercios ») : d’abord l’entrée du toro, quelques passes de grande cape et le travail du picador monté sur son cheval aux yeux bandés – pour ne pas prendre panique à la vue du toro qui le charge à toute vitesse, mais dont les flancs sont bien protégés d’une cuirasse bien matelassé – et qui y va de coups de pique dans le garrot. Au cours des 6 séances, on apprend à apprécier les différences; si le toro est vigoureux dans son attaque, le public apprécie; si le picador s’acharne indument avec sa pique, le public proteste violemment comme ce fut le cas dans une des manches ou le picador est sorti sous les sifflets de la foule (il fallait voir quelques voisins de rangée debout, vociférant, en s’objectant à l’acharnement du picador – les sévillans prennent leur tauromachie au sérieux!)
Deuxième tercio : les banderilleros plantent leurs banderilles – deux à la fois – en courant vers les vers le toro qui lui charge en même temps vers le banderillero; tout encore une fois est dans la manière; si le banderillero loge ses banderilles en faisant bien face au toro, en sautant pieds joints et en s’esquivant juste à temps pour éviter les cornes du toro, il sera saluer par des applaudissements; les charges peuvent aller jusqu’à quatre; elles se limitent ce soir à 3 au maximum. Les toros se retrouvent donc avec 4 à 6 banderilles qui lui pendent du dos si elles ont été bien plantées. Et tout çà est en prélude au troisième tercio ou le matador entre en scène alors que le toro a été affaibli par les piques du picador et les banderilles des banderilleros. Il tombera alors sous l’effet mystifiant de la cape rouge du matador dont tout l’art consiste à faire « passer » le toro sous sa cape, à son commandement, de plus en plus près, et de plus en plus rapidement.
C’est alors que les « olés » se font entendre venant de la foule: timidement d’abord, puis très audible, si les passes (« faena ») se succèdent de plus en plus rapprochées. Et puis il faut voir le torero, à la suite de passes réussies, s’éloigner du toro, en lui tournant le dos, marchant avec fierté, le dos cambré, confiant qu’il a subjugué le toro, qui lui demeure immobile. Et tout çà continue jusqu’à ce que le torero juge le moment venu de mettre le toro à mort; il choisit bien ce moment d’immobilité ou, l’épée bien tendue en avant, à moins d’un mètre du toro, il choisit bien l’endroit très précis ou il va loger son arme dans le dos du toro. Et c’est le moment de vérité ou l’art du matador s’affirme. Le premier matador de la soirée, Julio Aparicio, le plus vieux des trois, a échoué lamentablement, surtout à son deuxième tour, lorsque l’épée a à peine pénétré, qu’elle est tombée et qu’il a dû s’y prendre à trois reprises pour la loger convenablement, faisant souffrir le toro inutilement, pour le finir sous les coups d’un autre genre d’épée dans les cervicales; il sortira sous les huées de la foule à la fin de la corrida. Contraste frappant avec le dernier torero, Salvador Vega, à peine 23 ans, mais plein de panache dans son habit tout blanc, de taille moyenne mais très audacieux, qui loge son épée très adroitement jusqu’à la garde, transperçant le cœur de la bête qui s’affaisse rapidement et meurt. Il aura droit à une oreille du toro (aux deux quand la performance est particulièrement réussie) à la discrétion du président d’honneur de la corrida – une femme cette journée-ci – qui accorde cette distinction à la demande de la foule qui agite des mouchoirs blancs; et puis c’est le tour d’honneur ou le matador et son équipe font le tour de l’enceinte sous les applaudissements de la foule. Le deuxième matador, Manuel Jesus « El Cid », dix ans plus âgé et de toute évidence bien connu pour avoir déjà fait ses preuves, aura droit au même honneur, à son deuxième toro.
Que penser de tout çà? On est d’abord subjugué par l’atmosphère qui règne dans l’enceinte et tout autour : la foule, l’arène, la musique d’un petit orchestre de cuivres logé au balcon, le soleil, et tout le cérémonial. Et puis l’énergie du toro quand il rentre dans l’arène, plein de vigueur, chargeant à gauche et à droite les toreros qui prennent refuge derrière les barricades. Graduellement il s’épuise sous les coups, s’égare entre toutes ces capes qui tournoient et le déboussole. Le sang qui nappe son dos, et qui tantôt giclera, au rythme des pulsations de son cœur, de la blessure que lui infligera le matador de son coup d’épée – très visible et qui annonce sa mort dans les minutes qui viennent. L’attitude de la foule, venu en grand nombre, assistée à ce spectacle somme toute assez barbare; on s’y est fait je présume à travers les âges – c’est un sport, sanguinaire soit, mais dont on apprécie les vertus de courage de part et d’autre, du torero comme du toro lui-même. Certains s’objectent à la cruauté du spectacle.
Mais peut-on juger, surtout quand on pense aux millions de bêtes qui passent par là chaque jour dans tous les abattoirs du monde, dans des conditions plus « humanitaires » certes pour certaines, mais de façon générale sous des conditions toutes aussi cruelles : j’ai encore en souvenir les séances d’abattoir qui prenaient place toutes les semaines derrière la boucherie du village, ou d’un coup de masse en plein front le boucher faisait tomber la bête, pour ensuite l’égorger d’un grand coup de couteau, le sang coulant à flot sur le plancher de ciment. Nous nous tenions un peu l’écart, mais tout de même très près, pour assister à ce que nous considérions une chose tout à fait en ligne avec les exigences de l’existence telles qu’on pouvait l’entendre à l’époque…
Sept 29, 2007