On mange bien chez les bénédictins. C’est savoureux et copieux – on se sert à volonté – mais honnête. Potage, rizotto ou pâtes en entrée, viande ou poisson, légumes et salade, comme mets principal, un fruit comme dessert, puis le petit quart de vin avec çà. Quelques fois un dessert spécial, un gâteau ou des marrons cuits, avec un vin d’occasion. Tout çà se fait selon un rituel bien établi et en moins de 20 minutes. La prière de l’abbé, on s’assoit, il donne le signal en dépliant sa serviette, les plats s’approchent en séquence, amenés par deux moines qui font le service. Je suis assis à côté de l’abbé; j’apprends vite le code : on lui apporte un plat, il se sert puis le pousse du revers de la main vers moi; je me sers et le pousse devant moi, à quel moment le moine de service reprend le plat pour l’amener à la table voisine. Et ainsi de suite pour chaque plat. Puis l’abbé donne le signal de la fin du repas en frappant une fois la petite cloche en face de lui. Debout, une prière d’action de grâce, et on se retire, en laissant la table principale passer d’abord. Efficace!
Tout çà en silence, sauf pour la lecture à voix haute faite par un moine à l’entrée du réfectoire; en italien, ce qui me laisse tout le temps pour penser à autre chose, pour observer, les murales modernes d’abord, puis, discrètement, les moines des tables voisines, chacun trahissant un peu leur personnalité par la façon qu’il mange… La lecture comme fond sonore me rappelle mon premier diner chez les moines de Maredsous en Belgique, il y a bien plus de trente ans; alors que j’entre dans le réfectoire, quelle n’est pas mon étonnement en entendant des incantations glorifiant Mao et Lin Biao! Non ce ne sont pas des nostalgiques de la révolution culturelle, mais tout simplement des moines qui s’informent du monde extérieur : il s’agissait d’une citation dans un passage du livre d’Alain Peyrefitte, Quand la Chine s’éveillera, dont un moine faisait la lecture à voix haute!
On mange mieux au sud qu’au nord, incidemment…
En mangeant tout en entendant ces extraits de la bible en italien, çà vous laisse aussi le temps pour penser aux raisons qui ont pu amener cette vingtaine d’hommes, disposés autour de cette enceinte, à choisir cette existence. Les plus jeunes sont dans la trentaine, dont padre Emmanuele qui s’occupe de l’hôtellerie, mais la plupart je dirais dépasse la cinquantaine, dont quelques-uns d’un âge avancé. La langue limite le contact et l’échange – mon italien est presqu’inexistant et leur anglais ou français très limités. Mais on peut spéculer. Qu’est ce qui peut pousser à la vie monacale? Le désir de servir Dieu dans une relation exclusive? Possiblement et sûrement dans plusieurs cas, du moins comme motivation initiale. La vie contemplative? A voir le caractère de certains de ces moines, du moins parmi les moins âgés, j’en doute. Le désir d’échapper à la vie de l’extérieur avec tous ces défis et trépidations? On est porté à y penser. On s’en défendrait si on leur demandait, mais il est difficile d’exclure; encore qu’il doit y avoir d’autres raisons également, plus inspirantes et moins suspectes, qui constituent le fondement d’une telle décision.
Outre la prière et la méditation, les moines de l’abbaye s’adonnent à plusieurs travaux qui vont de l’agriculture – apiculture, culture maraichère, production de vin – jusqu’à la fabrication d’une ligne de produits de beauté, en passant par la restauration de livres anciens dont l’atelier fait école depuis sa fondation en 1951. Les produits sont vendus aux touristes qui viennent par groupe visiter l’essentiel de l’abbaye quelques heures en après-midi. Praglia publie un peu, des œuvres d’auteurs extérieurs car très peu sont de moines de l’abbaye, dont la vocation est plutôt rurale, me précise le bibliothécaire Guillermo, avec un sourire en coin. L’abbaye opère également un petit centre de congrès logé dans le pavillon réaménagé qui complète au sud le complexe – très moderne et confortable d’ailleurs. Des projets de réfaction des murs extérieurs de certains pavillons sont en cours du côté est.
Derniers saluts à l’abbé et puis à Walter Emmanuele. Je quitte, l’esprit et le corps reposés, pour reprendre un rythme un peu plus habituel. Demain Zurich; puis Bombay…
Tout çà en silence, sauf pour la lecture à voix haute faite par un moine à l’entrée du réfectoire; en italien, ce qui me laisse tout le temps pour penser à autre chose, pour observer, les murales modernes d’abord, puis, discrètement, les moines des tables voisines, chacun trahissant un peu leur personnalité par la façon qu’il mange… La lecture comme fond sonore me rappelle mon premier diner chez les moines de Maredsous en Belgique, il y a bien plus de trente ans; alors que j’entre dans le réfectoire, quelle n’est pas mon étonnement en entendant des incantations glorifiant Mao et Lin Biao! Non ce ne sont pas des nostalgiques de la révolution culturelle, mais tout simplement des moines qui s’informent du monde extérieur : il s’agissait d’une citation dans un passage du livre d’Alain Peyrefitte, Quand la Chine s’éveillera, dont un moine faisait la lecture à voix haute!
On mange mieux au sud qu’au nord, incidemment…
En mangeant tout en entendant ces extraits de la bible en italien, çà vous laisse aussi le temps pour penser aux raisons qui ont pu amener cette vingtaine d’hommes, disposés autour de cette enceinte, à choisir cette existence. Les plus jeunes sont dans la trentaine, dont padre Emmanuele qui s’occupe de l’hôtellerie, mais la plupart je dirais dépasse la cinquantaine, dont quelques-uns d’un âge avancé. La langue limite le contact et l’échange – mon italien est presqu’inexistant et leur anglais ou français très limités. Mais on peut spéculer. Qu’est ce qui peut pousser à la vie monacale? Le désir de servir Dieu dans une relation exclusive? Possiblement et sûrement dans plusieurs cas, du moins comme motivation initiale. La vie contemplative? A voir le caractère de certains de ces moines, du moins parmi les moins âgés, j’en doute. Le désir d’échapper à la vie de l’extérieur avec tous ces défis et trépidations? On est porté à y penser. On s’en défendrait si on leur demandait, mais il est difficile d’exclure; encore qu’il doit y avoir d’autres raisons également, plus inspirantes et moins suspectes, qui constituent le fondement d’une telle décision.
Outre la prière et la méditation, les moines de l’abbaye s’adonnent à plusieurs travaux qui vont de l’agriculture – apiculture, culture maraichère, production de vin – jusqu’à la fabrication d’une ligne de produits de beauté, en passant par la restauration de livres anciens dont l’atelier fait école depuis sa fondation en 1951. Les produits sont vendus aux touristes qui viennent par groupe visiter l’essentiel de l’abbaye quelques heures en après-midi. Praglia publie un peu, des œuvres d’auteurs extérieurs car très peu sont de moines de l’abbaye, dont la vocation est plutôt rurale, me précise le bibliothécaire Guillermo, avec un sourire en coin. L’abbaye opère également un petit centre de congrès logé dans le pavillon réaménagé qui complète au sud le complexe – très moderne et confortable d’ailleurs. Des projets de réfaction des murs extérieurs de certains pavillons sont en cours du côté est.
Derniers saluts à l’abbé et puis à Walter Emmanuele. Je quitte, l’esprit et le corps reposés, pour reprendre un rythme un peu plus habituel. Demain Zurich; puis Bombay…
Praglia, le 19 octobre 2007